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[Presse] Maroc : ce qu’il faut attendre de la libéralisation de la réglementation des changes

Maroc : ce qu’il faut attendre de la libéralisation de la réglementation des changes

Par Alain GAUVIN, Associé, Responsable des Bureaux de Casablanca & Alger, LPA-CGR, avocats

« La transformation de Casablanca en hub financier international […] requiert, en outre, la consolidation des règles de bonne gouvernance, la mise en place d’un cadre juridique approprié, la formation de ressources humaines hautement qualifiées et l’adoption de techniques et de méthodes de gestion modernes. » Exprimée lors du discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, à l’attention des parlementaires, en octobre 2013, cette exigence pourrait être renouvelée aujourd’hui : l’ambition du Royaume de devenir le carrefour des échanges entre l’Afrique et les autres continents dépend de la capacité du législateur et de l’administration de fixer des règles accessibles, lisibles et dont la mise en œuvre ne souffre aucun aléa.

L’Office des Changes (OC) a, avec la réforme de l’Instruction Générale des Opérations des Changes (IGOC) (1), pris les choses en main, et l’on doit l’en féliciter. Cette réforme de l’IGOC confirme la transformation entreprise par l’OC, depuis 2010, sous la direction de Jaouad Hamri et poursuivie par son successeur, Hassan Boulaknadal : autorité de contrôle, certes, l’OC est aussi accompagnateur des investisseurs étrangers et marocains, et promoteur du Maroc en tant que place commerciale et financière incontournable pour qui s’intéresse à l’Afrique.

Parmi les mesures dites « de libéralisation » nées de cette réforme, voici les plus importantes :

  • Le droit pour les exportateurs marocains d’ouvrir des comptes à l’étranger ;
  • La libéralisation de la rémunération versée par les filiales marocaines à leur maison-mère étrangère, au titre de la mise à disposition de personnel étranger ;
  • Le droit pour l’emprunteur de rembourser par anticipation son prêt contracté à l’étranger ;
  • Le droit pour les opérateurs marocains d’emprunter à l’étranger pour financer des investissements à l’étranger.

D’autres mesures contribuent au rayonnement international du Royaume en favorisant l’installation ou la représentation des « organisations internationales« .

Mais, c’est surtout en matière financière que cette réforme est remarquable.

  1. La compensation des créances résultant de contrats financiers à terme est désormais autorisée. L’interdiction de compensation était, à bien des égards, une anomalie : d’abord, on pouvait douter de sa légalité ; ensuite, la compensation est le mode usuel d’extinction de dettes découlant de contrats financiers à terme. La compensation est même l’un des deux objets essentiels des conventions-cadres de place, dont la conclusion est préconisée par l’OC lui-même ; interdire la compensation apparaissait donc comme un paradoxe. L’autoriser permettra aux banques de limiter leur risque de contrepartie et, ainsi, de réduire la prime de risque supportée par les opérateurs marocains.
  2. Les entreprises peuvent couvrir leurs stocks. Le droit de souscrire une couverture est élargi au risque de dépréciation des stocks, ce qui constitue une avancée majeure susceptible d’éviter des affaires ayant récemment défrayé la chronique.
  3. Le droit de couvrir tout type de risque. La conclusion d’une opération de couverture n’est plus, s’agissant des banques, compagnies d’assurances, OPCVM, OPCC et FPCT, limitée aux risques de change, de taux et sur commodities, mais étendue à tous les risques : de crédit ; inhérent à tout type d’actif ; assurantiel ; climatique ou de catastrophe naturelle ; pandémique ; etc.
  4. Élargissement des placements à l’étranger pour les institutions financières marocaines. Il s’agit là d’une nouvelle disposition audacieuse de nature à favoriser la diversification des portefeuilles de certains investisseurs institutionnels marocains. Ainsi, les banques, les entreprises d’assurances, les OPCVM, les OPCC et les FPCT pourront-ils souscrire, à l’étranger, tout instrument ou contrat financier sous réserve de leur licéité au regard de la loi étrangère qui leur est applicable.

Par conséquent, ces institutions pourront souscrire un contrat financier à terme dont l’objet ne sera pas de les couvrir contre un risque, mais de leur servir la performance d’un actif ou d’un indice sous-jacent.

  1. Quel est le sort réservé aux entités CFC ?

Le vœu que l’on exprime en ce début d’année est de voir les entités CFC échapper, à l’instar des institutions situées sur la place financière offshore de Tanger, à la réglementation des changes. Au demeurant, on peut s’étonner que tel ne soit pas le cas alors que la Loi CFC, elle-même, dispose que la « place financière de Casablanca » est ouverte aux entreprises « exerçant des activités sur le plan régional ou international » : comment favoriser l’implantation, au Maroc, d’entreprises de qui l’on exige qu’elles soient conquérantes à l’étranger, s’il leur est appliqué la réglementation des changes ? Nous ne doutons pas que ce vœu soit tout prochainement exaucé.

En conclusion, ces avancées, pour ambitieuses qu’elles soient, anéantissent-elles tous les obstacles que le Royaume doit franchir pour accomplir son ambition de devenir une place financière internationale, à tout le moins régionale ? Certainement pas : que la compensation soit désormais autorisée par l’OC n’évacue pas le doute sur sa validité en cas de faillite de l’opérateur marocain ; que l’OC élargisse l’utilisation des contrats financiers à terme ne dispense pas le législateur de concevoir un cadre régissant ces instruments ; que les entités CFC soient dispensées de la réglementation des changes – ce qui reste à confirmer sur le principe et les modalités – n’anéantit le sentiment confus que peut engendrer la cohabitation de la Loi 58-90 sur la place financière offshore de Tanger et la Loi 44-10 sur CFC, ne contribuant pas à donner du Royaume l’image d’une place financière unitaire.

Mais nous voyons dans cette réforme de la réglementation des changes une invitation à l’attention du législateur et de l’administration marocains, à faire évoluer le droit « sur la base d’une approche fondée sur la pertinence économique, visant à contribuer à l’amélioration du climat général des affaires au Maroc. » (2)

(1) Réforme à l’état de projet à l’heure où nous écrivons ces lignes.

(2) Projet d’IGOC 2017, Note de présentation, page 14.

 

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