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Gestion des pénuries de médicaments : une première réponse européenne circonscrite aux situations de crise

Saga – Rupture d’approvisionnement des produits de santé en Europe
2ème volet

Gestion des pénuries de médicaments : une première réponse européenne circonscrite aux situations de crise

Avec l’entrée en application le 1er mars 2022 du Règlement (UE) 2022/123[1], les industriels du médicament ont dû faire face à une complexification du réseau européen en charge de la réglementation des médicaments. En effet, l’Agence européenne des médicaments (EMA) dispose désormais de deux nouveaux organes pour exercer sa mission de surveillance des pénuries de médicaments : l’Executive Steering Group on Shortages and Safety of Medicinal Products (MSSG)[2] et l’Emergency Task force (EFT)[3].

L’EFT d’ores et déjà présente pendant la crise du Covid-19, a été consacrée officiellement sous ce nom par le Règlement (UE) 2022/123. Il s’agit d’un groupe de travail de l’EMA, qui fournit des avis scientifiques sur les médicaments susceptibles de répondre à la crise. Cette task force ne peut être convoquée qu’en cas d’urgence de santé publique[4], d’où sa consultation à deux reprises, pendant la pandémie du Covid-19 et l’épidémie de variole du singe[5].

Le MSSG est la nouveauté du Règlement (UE) 2022/123 par son statut et ses fonctions. Il s’agit d’un groupe de pilotage et non de travail, dont la mission principale est de communiquer avec l’ensemble des acteurs de la chaîne d’approvisionnement et de coordonner leurs actions afin d’éviter ou de remédier à toute pénurie[6].

En présence d’une urgence de santé publique ou d’un évènement majeur :

  • susceptible d’affecter la qualité, l’innocuité, ou l’efficacité de médicaments, le groupe adresse des recommandations à la Commission et aux Etats membres sur les mesures à prendre vis-à-vis de ces médicaments[7];
  • susceptible d’entraîner des pénuries dans plusieurs États membres, le groupe établit une liste répertoriant les médicaments considérés comme « critiques ». Pour chaque urgence de santé publique ou évènement majeur signalé, une liste des médicaments critiques doit être publiée[8]. A la suite de ce « référencement », le MSSG doit surveiller l’offre et la demande relatives à ces médicaments[9].

Le législateur n’a pas donné de définition des « médicaments critiques » mais a tout de même souhaité aiguiller le MSSG dans l’élaboration des listes les répertoriant. Le Règlement (UE) 2022/123 a imposé au groupe de pilotage de créer « une liste des principaux groupes thérapeutiques de médicaments qui sont nécessaires aux soins d’urgence, aux interventions chirurgicales et aux soins intensifs, afin de contribuer à la préparation des listes de médicaments critiques », avant le 2 août 2022[10].

Toutefois, en pratique le MSSG a adopté une démarche sensiblement différente, puisque la première liste des médicaments critiques créée pour l’urgence de santé publique « Covid-19 » a été publiée le 7 juin 2022[11], soit un mois avant celle des groupes thérapeutiques arrêtée en juillet 2022[12]. Cette liste des médicaments critiques établie pour le Covid-19 puis mise à jour en novembre 2022[13], comporte deux tableaux : le premier recensant les vaccins contre le Covid-19 autorisés dans l’Union européenne (UE), au nombre de sept et le second, les solutions thérapeutiques utilisées contre le Covid-19 autorisés dans l’UE, au nombre de neuf[14]. L’EMA a publié le 19 août 2022, une seconde liste répertoriant les médicaments critiques mais cette fois-ci pour l’urgence de santé publique « variole du singe ». Seuls deux produits y ont été inscrits : un médicament et un vaccin[15].

Conformément à la méthodologie dégagée par le MSSG à sa première réunion, les listes susmentionnées ont été élaborées grâce à un travail de collaboration mené entre les groupes de travail SPOC sur les pénuries de médicaments (SPOCWP), des patients et des consommateurs (PCWP) et des professionnels de la santé (HCPWP) de l’EMA, les sociétés savantes (LS) de l’EMA, les associations représentants les industriels et supervisé par le secrétariat de l’EMA[16]. Contrairement à la liste des groupes thérapeutiques mise à jour a minima annuellement[17], celle des médicaments critiques n’est valable que tant que la reconnaissance d’une urgence de santé publique est maintenue[18].

Ce système de référencement des médicaments essentiels en période de crise prend tout son sens, avec la mise en place concomitante du système « i-SPOC » (industry Single Point of Contact) imposant aux titulaires d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de médicaments considérés comme critiques, d’établir des points de contact uniques (Single Point of Contact), interlocuteurs privilégiés de l’EMA[19]. Ces derniers sont chargés de lui transmettre toute « information pertinente »[20] en matière de prévention des pénuries[21]. Il s’agit des informations relatives à l’AMM, à l’identification des sites de fabrication actifs des produits finis et des substances actives, à la disponibilité du médicament, au volume de vente, aux stocks constitués, à la prévision de l’offre et de la demande (vulnérabilités potentielles, quantités livrées)[22]. Après la publication de la liste des médicaments critiques pour l’urgence de santé publique « Covid-19 », tous les « i-SPOC » des industriels concernés ont été enregistrés au plus tard le 2 septembre 2022 sur la plateforme IRIS[23]. Les données recueillies sur la plateforme sont indispensables à la mission de surveillance exercée par le MSSG, qui doit signaler « toute pénurie réelle ou potentielle de médicaments figurant sur les listes des médicaments critiques ou tout événement susceptible d’entraîner un événement majeur ». Les résultats de cette surveillance sont régulièrement notifiés à la Commission et à l’ensemble des acteurs de la chaîne d’approvisionnement[24]. C’est donc un système de notification harmonisé à l’échelle européenne qui a été mis en place pour faire face aux pénuries en cas d’urgence de santé publique.

Il est regrettable que ce système ne soit pas utilisé en dehors du champ d’application du Règlement (UE) 2022/123, pour faire face à l’ensemble des pénuries, y compris celles qui ne surviennent pas en période de crise. Le second « paquet pharma », attendu pour mars 2023 devrait permettre de compléter le dispositif actuel avec l’inscription d’obligations d’approvisionnement renforcées dans la législation pharmaceutique générale[25]. En effet pour mémoire à ce jour, seuls trois états européens dont la France disposent d’une réglementation en matière de gestion des ruptures de stocks qui prévoit notamment la définition de la pénurie ou de la rupture d’approvisionnement[26].

 

[1] Art. 38 du Règlement (UE) 2022/123.
[2] EMA, Executive Steering Group on Shortages and Safety of Medicinal Products (MSSG).
[3] EMA, Emergency Task Force.
[4] Art. 15 du Règlement (UE) 2022/123.
[5] EMA, Emergency Task Force, ETF during COVID-19 and monkeypox.
[6] Art. 8 §3. §4. et §5. du Règlement (UE) 2022/123.
[7] Art. 4 §5 a) du Règlement (UE) 2022/123.
[8] Art. 6 du Règlement (UE) 2022/123. Réponse formulée par l’EMA dans le cadre de la première réunion du MSSG du 11 mai 2020, « EMA was asked to clarify whether the lists of critical medicines lists were specific for each crisis (PHE/ME). EMA confirmed that there is a possibility to have multiple lists of critical medicines depending on the ME/PHE as the lists are crisis-specific ».
[9] Art. 7 du Règlement (UE) 2022/123.
[10] Art. 6 §1. du Règlement (UE) 2022/123.
[11] EMA, « EMA adopts first list of critical medicines for COVID-19 », jui. 2022.
[12] MSSG, « List of the “main therapeutic groups” (MTGs) in crisis preparedness », jui. 2022.
[13] Seule version disponible à ce jour.
[14] MSSG, « List of critical medicines for COVID-19 public health emergency (PHE) under Regulation (EU) 2022/123 », nov. 2022.
[15] EMA, « List of critical medicines for Monkeypox public health emergency (PHE) under Regulation (EU) 2022/123 », aoû. 2022.
[16] EMA, « Methodology for the establishment of lists of “main therapeutic groups” in crisis preparedness and of the lists of “critical medicines1” in the context of a major event and/or public health emergency », mai 2022, p.4 et 5.
[17] Art. 6 §1. du Règlement (UE) 2022/123.
[18] Art. 6 §2. du Règlement (UE) 2022/123.
[19] Art. 10 du Règlement (UE) 2022/123.
[20] Art. 9 §2. c) du Règlement (UE) 2022/123.
[21] Communication des informations via la plateforme IRIS. Cette plateforme était initialement consacrée aux médicaments orphelins et son utilisation a été élargie aux médicaments critiques, en attendant que la plateforme européenne de surveillance des pénuries, the European shortages monitoring platform (ESMP) soit implémentée en février 2025 (Présentation de l’EMA, « Monitoring and mitigating shortages of medicines and devices », Session 1, p.12).
[22] Art. 9 du Règlement (UE) 2022/123. A noter, « tout élément pertinent » doit être communiqué ; cette liste n’est donc pas a priori exhaustive.
[23] EMA, « Call for companies to register their Industry Single Point of Contact (i-SPOC) on supply and availability », jui. 2022.
[24] Art. 8 §1. du Règlement (UE) 2022/123.
[25] Briefing Santé, « UE › « Paquet pharma » : la Commission européenne envisage des obligations d’approvisionnement plus strictes », Contexte Santé, jan. 2023.
[26] Rapport d’information rédigé au nom de la commission des affaires européennes sur la stratégie pharmaceutique pour l’Europe de la Commission européenne par Mmes Pascale GRUNY et Laurence HARRIBEY, oct. 2022.