Marque sonore : reconnaissance par le Tribunal de l’Union européenne du caractère distinctif d’un jingle
8 décembre 2025
Marque sonore : reconnaissance par le Tribunal de l’Union européenne du caractère distinctif d’un jingle
(TUE, 10 septembre 2025, T-288/24)
Dans son arrêt du 10 septembre 2025, le Tribunal de l’Union européenne (« TUE ») a annulé une décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (« EUIPO ») ayant refusé l’enregistrement du signe sonore suivant, déposé par l’opérateur des transports publics de Berlin, la société Berliner Verkehrsbetriebe (« BVG »), pour désigner des services de transport et d’emballage :
Fichier audio de la marque demandée
Sur la procédure
Par une décision du 3 octobre 2023, l’EUIPO a notamment rejeté la demande d’enregistrement sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne, considérant que le signe sonore précité était dépourvu de caractère distinctif.
La cinquième chambre de recours de l’EUIPO a confirmé cette décision en considérant dans sa décision du 2 avril 2024 que la mélodie était si courte et banale, qu’elle ne possédait aucune prégnance, ni capacité à être reconnue, ce qui ne permettrait pas aux consommateurs de la considérer comme une indication d’origine.
Plus précisément, la chambre de recours a considéré que la demande d’enregistrement étant extrêmement courte (deux secondes) et simple (quatre sons perceptibles), elle n’était pas en mesure de transmettre en tant que tel un message dont les consommateurs pourraient se souvenir, dès lors qu’elle serait simplement perçue comme un élément sonore fonctionnel destiné à attirer l’attention de l’auditeur sur l’annonce qui suit ou sur d’autres aspects des services visés.
La BVG a formé un recours à l’encontre de cette décision, reprochant à la chambre de recours de l’EUIPO de ne pas avoir interprété correctement les critères du caractère distinctif.
Sur l’appréciation du caractère distinctif par le TUE
Le TUE annule la décision de la chambre de recours et apporte des précisions utiles quant aux critères permettant d’apprécier le caractère distinctif des jingles de courte durée.
Le TUE considère notamment que :
- Il est notoire que les opérateurs du secteur des transports utilisent de plus en plus des jingles pour créer une identité sonore reconnaissable par le public.
- Le signe sonore consiste en une mélodie de quatre sons différents qui n’a pas de lien direct avec les services visés. Ce signe n’apparaît pas plus être dicté par des considérations techniques ou fonctionnelles.
Pour le TUE, la marque demandée tend à être exploité comme un jingle (i.e. une séquence sonore courte et percutante susceptible d’être mémorisée).
- La pratique décisionnelle et les directives de l’EUIPO en matière de marques sonores confirment cette appréciation. Le TUE rappelle en ce sens que des marques sonores ont été acceptées par l’EUIPO alors qu’elles étaient composées d’une séquence de quatre tonalités différentes (notamment : les jingles de l’entreprise ferroviaire allemande Deutsche Bahn AG et celui de l’aéroport de Munich avaient été acceptés alors qu’ils ne comportaient que quelques notes).
- Le fait que la marque ait un rôle fonctionnel (par exemple, attirer l’attention sur une annonce) ne fait pas obstacle à ce qu’elle puisse également exercer sa fonction d’indication de l’origine commerciale du service.
Au regard de ce qui précède, le TUE a estimé que la chambre de recours avait commis une erreur d’appréciation en concluant à l’absence de caractère distinctif de la marque demandée, compte tenu de ses caractéristiques (durée, mélodie, sons perceptibles) ainsi que des différentes indications fournies par l’EUIPO par le passé quant au rôle joué par ces caractéristiques dans l’appréciation du caractère distinctif.
Pour aller plus loin
La protection des marques sonores a été consacrée par la loi du 4 janvier 1991 et a été significativement facilitée par la suppression de l’exigence de représentation graphique résultant de l’adoption de la Directive (UE) 2015/2436 dite « Paquet Marques ».
En effet, en vertu de l’ancien article L. 7111 du Code de la propriété intellectuelle, les marques sonores pouvaient être protégées à la condition d’être représentées sous une forme exclusivement graphique. À titre d’exemple, une marque pouvait être décrite par des mentions telles que : « la marque est constituée par le Chant de la cigale et figuré par le Spectogramme » ci-dessous représenté (marque française non en vigueur n° 003005722) :
Désormais, les marques sonores peuvent être déposées auprès de l’EUIPO et de l’INPI via un fichier audio et/ou vidéo, simplifiant ainsi considérablement la procédure.
A l’instar des autres catégories de marques (verbales, figuratives, tridimensionnelles, notamment), et comme déjà évoqué ci-dessus, les marques sonores doivent remplir la condition de distinctivité.
Le TUE a ainsi pu considérer que la combinaison d’un élément sonore de neuf secondes (son du pétillement des bulles) et d’un élément silencieux d’une seconde pour des produits des classes 29, 30, 32 et 33 (boissons, récipients métalliques notamment), était dépourvue de tout caractère distinctif dans la mesure où elle serait davantage perçue comme étant une indication des qualités des produits qu’une indication de leur origine commerciale (TUE, 7 juillet 2021, T-668/19).
Des décisions antérieures pouvaient laisser penser qu’un signe trop court ne pouvait être gardé en mémoire et était dépourvu de toute faculté d’identification en témoigne le jingle Netflix qui avait fait l’objet d’un rejet partiel par l’EUIPO avant d’être retiré : Signe sonore Netflix retiré
La décision T-288/24 commentée démontre toutefois que la brièveté d’un élément sonore ne constitue pas en soi un obstacle à l’enregistrement, dès lors que cet élément reste distinctif au regard des produits et services qu’il désigne.
Les entreprises ont désormais tout intérêt à intégrer les marques sonores dans leur stratégie de protection, celles-ci constituant des vecteurs d’identification commerciale appelées à prendre une importance croissante.
Ainsi, il importe, préalablement à tout dépôt d’une demande d’enregistrement d’un signe sonore, de s’assurer notamment de sa distinctivité (i.e. « une certaine prégnance permettant au consommateur visé de le percevoir et de le considérer en tant que marque et non pas en tant qu’élément de nature fonctionnelle ou en tant qu’indicateur sans caractéristique intrinsèque propre. Ledit consommateur doit donc considérer le signe sonore comme possédant une faculté d’identification, en ce sens qu’il sera identifiable en tant que marque » (TUE, 13 sept. 2016, Aff. T-408/15, pt 45)), ainsi que de sa disponibilité par le biais d’une recherche d’antériorités.
Vous souhaitez exploiter pleinement la dimension sonore de votre marque ? Contactez-nous pour en discuter !


