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Smart Alert | Renvoi par le Conseil d’Etat au Conseil constitutionnel de deux questions prioritaires de constitutionnalité sur l’article 38 de la loi n° 2022-1157

Smart Alert | Renvoi par le Conseil d’Etat au Conseil constitutionnel de deux questions prioritaires de constitutionnalité sur l’article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative

Dans le prolongement des recours en annulation déposés contre l’arrêté du 28 décembre 2022 dit « arrêté prix seuil », le Conseil d’Etat a rendu une décision importante en transmettant au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité soulevées à l’encontre des dispositions de l’article 38 de la loi n° 2022-1157du 16 août 2022 sur le fondement duquel a été pris l’arrêté précité (Conseil d’Etat, 26 juillet 2023, req. nos 471674, 471713, 471778)

L’article 38 de la loi du 16 août 2022 a modifié rétroactivement les contrats de complément de rémunération conclus en application des articles L. 314-12 à L. 314-18 du code de l’énergie en leur imposant un déplafonnement partiel, à partir du 1er janvier 2022, au-delà d’un prix « seuil ».

L’arrêté du 28 décembre 2022 a fixé le prix « seuil » à un prix de 44,78 €/MWh pour 2022, avec une augmentation de 2 % chaque année jusqu’en 2042, ce qui revient à une captation complète par l’Etat des profits générés sur le marché par les producteurs.

De fait, l’ampleur de la captation vient d’être confirmée par la délibération 2023-200 du 13 juillet 2023 relative à la réévaluation des charges de service public de l’énergie pour 2023, laquelle chiffre la contribution au bouclier tarifaire à 6,3 milliards d’euros au titre des années 2022 et 2023, pour la seule filière éolienne terrestre, principale contributrice.

Devant l’ampleur de cette contribution obligatoire contrecarrant l’ensemble des décisions d’investissement et de gestion de 2022 et obérant l’investissement futur dans les énergies renouvelables, la filière a pris la décision d’attaquer cet « arrêté prix seuil » devant le Conseil d’Etat. Dans le cadre de cette instance deux questions prioritaires de constitutionalité relatives à la conformité à la Constitution de l’article 38 de la loi de finances rectificative pour 2022 ont été posées.

En premier lieu, il était soutenu que le fait de modifier unilatéralement, rétroactivement et jusqu’à leur terme, des contrats légalement formés – i.e. les contrats de complément de rémunération  en application des articles L. 311-12 et L. 314-18 du code de l’énergie– porte atteinte (i) au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, (ii) à la liberté contractuelle et (iii) au droit au maintien de l’économie des contrats légalement conclus qui découlent des articles 4 et 16 de la même Déclaration.

Les requérantes ajoutaient qu’aucun motif d’intérêt général suffisant ne justifiait, au cas d’espèce, qu’une telle atteinte soit portée à des contrat en cours.

Sur ce point, lors de l’audience, le rapporteur public Madame Guibé a rappelé que les motifs d’intérêts général avancés par le ministre de l’Économie tirés d’une nécessité (i) d’assurer le fonctionnement concurrentiel du marché et de stabiliser les prix de l’électricité, (ii) de rééquilibrer la relation entre EDF OA et les producteurs et, (iii) d’assurer le bon emploi des deniers publics, ne sauraient convaincre prima facie et nécessitent un examen par le Conseil constitutionnel.

Sur le premier motif le rapporteur public considère que le mécanisme en cause n’a pas d’incidence sur la formation des prix de l’électricité.

Surtout, le rapporteur public rappelle, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qu’un effet d’aubaine peut être capté par l’État uniquement lorsqu’il produit un déséquilibre contractuel entre consommateur et producteur d’électricité au détriment des intérêts financiers de l’État. Le règlement (UE) 2022/1854 du 6 octobre 2022 ne conduit d’ailleurs pas à une captation de l’effet d’aubaine mais s’inscrit uniquement dans une logique redistributive aux consommateurs.

Le rapporteur public est tout aussi sceptique sur le deuxième motif d’intérêt général avancé par le ministre, de rééquilibrage de la relation contractuelle entre EDF OA et les producteurs. A la différence de l’obligation d’achat qui se faisait au détriment de l’équilibre entre EDF OA et les producteurs, la revente de l’électricité par les producteurs sous contrat de complément de rémunération se fait sur le marché et non à EDF OA. Par suite, des prix élevés sur le marché de l’électricité n’entraînent aucun surcoût ni pour EDF OA ni pour l’État. Le rapporteur public souligne même que ces prix ont pour résultat de diminuer les charges de service public dues par l’État à EDF OA et entraînent un remboursement progressif des aides précédemment versées, ce que confirme la délibération du 13 juillet de la CRE précitée. La mesure contestée n’a donc pas rééquilibré la relation contractuelle d’EDF OA avec les producteurs.

En outre, le ministre argue que dans la mesure où l’État aurait assumé seul les risques de marché en assurant au producteur un complément de rémunération, il serait légitime que l’État profite seul des gains exceptionnels. Le rapporteur public rappelle que les investissements sont portés avec des capitaux privés et que les conditions contractuelles initiales du contrat, permettent à l’État de recouvrer les aides apportées avec le mécanisme de plafonnement, ce qui paraît tout à fait acceptable et ne justifiant pas une modification en cours d’exécution des contrats.

Quant au dernier motif, de bon emploi des deniers publics, il n’a jamais été mobilisé seul dans la jurisprudence constitutionnelle pour justifier une atteinte aux contrats légalement conclus, le ministre aurait pu lui adjoindre le motif de protection des consommateurs. Cependant, sur ce point, le rapporteur public se range au moyen des requérants, à savoir que le bon emploi des deniers publics ne concerne que les dépenses, non les recettes. Or, en l’état du mécanisme, il s’agit pour l’État d’obliger un opérateur économique à lui reverser des recettes tirées des ventes sur le marché, proche d’une logique d’imposition à 100%.

Il n’en demeure pas moins que le ministre avait placé cette ponction au regard du coût du bouclier tarifaire, logique similaire au règlement du 6 octobre 2022 précité. Dès lors, ce motif d’intérêt général, à savoir le financement du bouclier tarifaire via le déplafonnement, en raison de son caractère inédit mérite d’être examiné par le Conseil constitutionnel. En outre, la question de la proportionnalité de l’atteinte au contrat au regard de l’intérêt général invoqué justifie également l’examen par le Conseil constitutionnel du dispositif institué par l’article 38.

En second lieu, les requérantes faisaient valoir qu’en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer le prix « seuil » qui fixe les conditions de mise en œuvre du mécanisme de « déplafonnement », le législateur a méconnu l’étendue de la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution. Il était avancé que cette méconnaissance a concouru aux atteintes mentionnées en premier lieu, dans la mesure où le partage des recettes que le législateur aurait entendu instituer entre les producteurs et l’Etat n’était aucunement garanti en l’état actuel des textes.

Le Conseil d’Etat, dans le prolongement des conclusions détaillées et éclairées de son rapporteur public, a estimé que les questions qui lui étaient soumises étaient applicables au litige, nouvelles et sérieuses.

Ainsi, par sa décision précitée du 26 juillet 2023, le Conseil d’Etat a considéré que « les questions soulevées à l’encontre des dispositions de l’article 38 de la loi du 16 août 2022, qui sont applicables au litige et n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, présentent un caractère sérieux et doivent être renvoyées au Conseil constitutionnel. ».

Le Conseil constitutionnel doit maintenant enregistrer lesdites questions et statuer dans les trois mois suivant la transmission par le Conseil d’Etat, c’est-à-dire d’ici la fin du mois d’octobre 2023.