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Smart Alert | Rationalisation du droit du contrôle des concentrations marocain

Smart Alert | Rationalisation du droit du contrôle des concentrations marocain

Après une première période pendant laquelle le droit des concentrations existait mais n’était pas appliqué, une deuxième période pendant laquelle le Conseil de la concurrence, ravivé, a revigoré le contrôle des concentrations en sanctionnant de manière lourde les manquements aux notifications, comme une alerte aux opérateurs, une troisième ère s’ouvre au Maroc, plus équilibrée, rationalisant notamment la procédure de notification des opérations de concentration.

C’est l’un des reflets dorés des modifications récentes du droit marocain de la concurrence relatives notamment au contrôle des concentrations, contenues dans la loi n°40-21 du 25 novembre 2022 modifiant la loi 104-12 relative à la liberté des prix et de la concurrence (la Loi 104-12) ainsi que dans le décret n° 2-23-273 du 22 mai 2023 modifiant le décret d’application de la Loi 104-12.

Les principales modifications sont les suivantes :

Nouveaux seuils de notification d’une concentration

Auparavant, trois seuils alternatifs étaient prévus :

  1. un chiffre d’affaires total mondial de plus de 750 millions de dirhams réalisé par les entreprises concernées par la concentration
  2. un chiffre d’affaires total de plus de 250 millions de dirhams réalisé au Maroc par les entreprises concernées,
  3. un volume de plus de 40% des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services réalisés par les entreprises concernées.

Ces anciennes dispositions appréhendaient beaucoup d’opérations qui n’avaient pas réellement de conséquence sur le marché marocain, et beaucoup d’opérations devaient être notifiées sans que les opérateurs n’en comprennent le sens. Le législateur a ainsi infléchi cette tendance.

Aujourd’hui, la nouveauté ne réside pas dans la caractère alternatif des critères, ni dans le critère relatif au volume des ventes et achats sur un marché national, qui doit toujours être supérieur à 40 %.

Ainsi les seuils des montants des chiffres d’affaires réalisés ont été augmentés et il faut combiner avec le chiffre d’affaires marocain ou mondial, un chiffre d’affaires marocain minimum réalisé par une partie.

Désormais, pour qu’une opération de concentration soit notifiée, il faudrait ainsi que :

  • « le chiffre d’affaires total mondial, hors taxes, de l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration soit supérieur à 1,2 milliards de dirhams et le chiffre d’affaires, hors taxes, réalisé au Maroc individuellement par au moins une des entreprises ou groupe de personnes physiques ou morales parties à la concentration soit supérieur à 50 millions de dirhams», ou que
  • « le chiffre d’affaires total, hors taxes, réalisé au Maroc par l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration soit supérieur à 400 millions de dirhams et le chiffre d’affaires, hors taxes, réalisé au Maroc individuellement par au moins deux des entreprises ou groupe de personnes physiques ou morales parties à la concentration soit supérieur à 50 millions de dirhams» ; ou que
  •  les entreprises qui sont parties à l’acte, ou qui en sont l’objet, ou qui lui sont économiquement liées ont réalisé ensemble, durant l’année civile précédente, plus de 40% des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services de même nature ou substituables, ou sur une partie substantielle de celui-ci.

Traitement des opérations de concentrations réalisées au cours d’une période de deux années entre les mêmes entreprises comme une seule et même opération pour le calcul des seuils de notifications

Cette disposition vise à empêcher des entreprises qui tenteraient de ne pas se soumettre au contrôle des concentrations en séparant une opération en plusieurs opérations pour demeurer sous les seuils de notification.

Instauration d’une redevance à verser au Conseil de la concurrence en contrepartie de l’analyse du dossier de notification d’une opération de concentration économique

Tel que nous avons pu le percevoir lors de nos différents dossiers de notification d’opérations de concentrations soumis au Conseil de la concurrence, l’analyse desdits dossiers requiert une force de travail importante et qualifiée.

Pour financer ces moyens du Conseil de la concurrence, le nouveau texte a introduit un montant de redevance à verser par les parties à la concentration, lequel est fixé à un pour mille (1/1 000) du montant de la transaction, sans que le montant de la redevance ne soit inférieur à vingt mille (20 000) dirhams ou supérieur à cent cinquante mille (150 000) dirhams. En cas de non-déclaration du montant de la transaction, les parties devront payer le montant maximal de 150 000 dirhams.

Si les parties souhaitent passer par une voie « expresse » grâce à laquelle elles pourraient obtenir une réponse du Conseil dans un délai inférieur au délai légal de 60 jours, alors la redevance sera fixée à deux pour mille du montant de la transaction, avec un minimum de quarante mille (40.000) dirhams et un maximum de trois cent mille (300.000) dirhams.

Lorsque la notification concerne la création d’une nouvelle entreprise, le montant de la redevance est fixé à vingt mille (20 000) dirhams pour la voie ordinaire et à quarante mille (40 000 dirhams) pour la voie rapide.

Instauration d’une procédure de notification simplifiée

Si le Conseil de la concurrence considère, à la demande des parties, que l’opération de concentration envisagée peut faire l’objet d’une notification simplifiée, il en informe les parties qui pourront déposer la notification sous une forme simplifiée. Le Conseil fixera dans ses futures lignes directrices la liste des opérations soumises à la notification simplifiée.

Traitement transactionnel des infractions au droit de la concurrence

La réforme prévoit la possibilité d’une transaction à conclure entre le Conseil et une entreprise qui aurait commis une infraction au droit de la concurrence, notamment lorsque cette entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés. Dans ce cas, le rapporteur général peut lui soumettre, après validation par le conseil, une proposition de transaction fixant le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée.

Il s’agit de l’institutionnalisation d’une pratique que nous avons déjà éprouvée et l’encadrement par un texte est bienvenu.

Adoption de lignes directrices du Conseil de la concurrence

Les lignes directrices du Conseil de la concurrence vont permettre d’informer les opérateurs de la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence, notamment en matière de notification simplifiée, de transaction, de sanctions, etc. Un volet « lignes directrices » a déjà été créé sur le site internet du Conseil de la concurrence, mais à ce jour, celui-ci ne contient aucune publication.

***

Le droit de la concurrence marocain se modernise avec ces nouveaux textes et devient comparable à celui de pays expérimentés dans ce domaine, notamment des pays européens, tout en conservant sa singularité nationale.

Cependant, certains points méritent encore d’être approfondis : tout d’abord, le fait que les critères de notificabilité soient alternatifs au lieu de cumulatifs ne permet pas totalement d’éviter d’appréhender certaines opérations qui n’auraient pas un réel effet sur le marché marocain. Or, nous comprenons que l’objectif du législateur était justement de tenter de limiter l’analyse des dossiers à des opérations de concentration pouvant avoir une incidence sur la concurrence marocaine.

De plus, bien que la possibilité de transiger avec le Conseil soit expressément prévue dans le nouveau texte, il n’en demeure pas moins que plus de transparence sur les modalités de détermination du montant de la sanction par le Conseil serait appréciable et éviterait des contestations à l’avenir.

Enfin, la loi ne prévoit pas expressément de possibilité de consultation du Conseil de la concurrence « pré-notification » afin de vérifier si une opération est notifiable ou non, ce qui aurait permis un gain de temps non négligeable pour le Conseil qui n’aurait pas à analyser des dossiers qui n’auraient peut-être pas dû être notifiés. En effet, en cas de doute sur l’obligation de notifier, les entreprises n’ont pour seule option que de notifier (de manière simplifiée si cela était possible ou de manière ordinaire), l’option de requérir une consultation pré-notification ne leur étant pas expressément permise par la loi, ce qui est assez regrettable.

Rim Tazi (collaboratrice senior, avocate au Barreau de Casablanca) et Romain Berthon (associé, avocat au Barreau de Paris, conseil juridique au Maroc depuis bientôt 15 années), accompagnent régulièrement leurs clients pour des avis préliminaires, des notifications ou des contentieux avec le Conseil de la concurrence en matière de concentrations. A ce jour, toutes les notifications qu’ils ont formulées pour le compte de leurs clients ont été acceptées par le Conseil de la concurrence (et auparavant par les services de la Primature), et les contentieux dont il se sont chargés se sont tous soldés par les accord transactionnel à la satisfaction de toutes les parties prenantes. Cette année, Monsieur Ahmed Rahhou, Président du Conseil de la Concurrence, a accepté l’invitation de LPA-CGR avocats pour intervenir une conférence sur ce sujet à Paris, organisée avec la Commission Afrique du Barreau de Paris. LPA-CGR avocats bénéficie ainsi de connaissances et d’une expérience unique sur le marché marocain pour accompagner des clients nationaux et internationaux en matière de droit de la concurrence.