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La France, pionnière en matière de prévention et gestion des pénuries de médicaments

Saga – Rupture d’approvisionnement des produits de santé en Europe
3ème volet

La France, pionnière en matière de prévention et gestion des pénuries de médicaments

 

Dès 2011, dans le cadre de la loi Bertrand[1] et de son décret d’application[2] le législateur français s’est saisi de la problématique des pénuries de médicaments. La notion de rupture d’approvisionnement a été consacrée dans le Code de la santé publique (CSP) comme « l’incapacité pour une pharmacie d’officine ou une pharmacie à usage intérieur […] de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures »[3]. La responsabilité des exploitants a été renforcée : s’ajoutent à leur obligation persistante d’approvisionnement approprié et continu des pharmacies et des grossistes-répartiteurs[4], l’obligation d’anticipation des pénuries et risques de pénurie[5]. Toutefois, au regard de la forte augmentation du nombre de signalements de ruptures ou risques de rupture d’approvisionnement pour des MITM entre 2008 et 2020[6], ce premier dispositif a été jugé insuffisant. Il a fallu attendre deux interventions du législateur en 2016[7] et 2019[8] pour aboutir à la mise en place d’un cadre réglementaire plus structuré et contraignant en matière de gestion des pénuries de médicaments.

Désormais, les exploitants mais aussi les titulaires d’autorisations de mise sur le marché (AMM) sont tenus de garantir un « approvisionnement approprié et continu du marché national de manière à couvrir les besoins des patients en France »[9]. A ce titre, ces opérateurs constituent des stocks de sécurité[10] de médicaments destinés au marché national, qui doivent obligatoirement être localisés sur le territoire français, européen ou sur celui d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen[11]. Par principe, les stocks de sécurité à constituer doivent correspondre à une semaine de couverture des besoins. Toutefois, le volume de ces stocks peut être revu à la hausse pour certains types de médicaments. Ainsi, pour les médicaments contribuant à une politique de santé publique, les stocks de sécurité doivent correspondre à un mois de couverture et pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) à au moins deux mois de couverture[12]. Lorsque des tensions d’approvisionnement ont déjà été déclarées dans les deux dernières années à l’égard d’un MITM, cette obligation peut être étendue à quatre mois par décision du directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)[13].

Pour mémoire, les MITM sont définis comme « les médicaments ou classes de médicaments pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante pour les patients au regard de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie »[14]. A ce jour, il n’existe aucune liste exhaustive répertoriant ces MITM par leur nom commercial. Les industriels doivent s’appuyer sur l’arrêté du 27 juillet 2016[15] fixant la liste des classes thérapeutiques des MITM, pour les identifier dans les gammes de produits qu’ils commercialisent (cette identification relève ainsi de leur responsabilité).

Les titulaires d’AMM et les exploitants sont par ailleurs contraints d’élaborer des plans de gestion des pénuries (GPG) et de les mettre en œuvre pour pallier toute pénurie qui concernerait un MITM[16] ou un vaccin[17] (dès lors que ce vaccin figure dans la liste arrêtée par le Ministre chargé de la santé)[18]. Ces derniers communiquent à l’ANSM la liste des médicaments pour lesquels ils élaborent des PGP[19] ainsi que le contenu de ces PGP. Ces plans doivent être mis à jour autant que de besoin et être adressés annuellement à l’ANSM[20]. Ils comportent impérativement la constitution des stocks de sécurité et peuvent prévoir[21] :

  • des alternatives médicamenteuses ;
  • d’autres sites de fabrication pour les matières premières à usage pharmaceutique et les médicaments concernés.

Par ailleurs, l’ANSM a publié des lignes directrices pour l’élaboration de ces PGP[22], qui précisent que ces derniers doivent contenir en outre :

  • une appréciation des risques pouvant mener à une rupture de stock potentielle ou avérée ;
  • les moyens de maîtrise ainsi que le système de revue et de suivi de ces risques ;
  • les mesures de gestion envisagées en cas de risque de rupture ou de rupture de stock[23].

En sus des PGP, pour ces mêmes catégories de médicaments, les établissements pharmaceutiques titulaires d’AMM et exploitants sont tenus de signaler à l’ANSM tout risque de rupture ou toute rupture de stock constatée[24]. Ce signalement se fait par le biais de la plateforme de télédéclaration Trustmed[25]. A cet égard, l’ANSM tient à jour, sur son site, une liste des MITM et des vaccins faisant actuellement ou ayant fait l’objet d’une déclaration de risque de rupture ou de rupture de stock et pour lesquels il n’existe pas d’alternative thérapeutique disponible sur le marché français[26]. A la suite de ce signalement et avec l’accord de l’ANSM, les opérateurs mettent en œuvre les mesures prévues dans le PGP mais aussi, des mesures d’accompagnement et d’information des professionnels de santé concernés[27].

Ces mesures peuvent être lourdes de conséquences, en effet, hormis tout cas de force majeure, dans l’hypothèse où la rupture de stock relative à un MITM ou à un vaccin « essentiel » n’a pas pu être évitée et qu’aucune alternative thérapeutique ni aucune mesure du PGP n’ont permis de couvrir les besoins nationaux, l’ANSM peut exiger de l’industriel dit « défaillant », qu’il procède à l’importation d’une alternative médicamenteuse pendant la durée de la pénurie. Outre la perte potentielle de parts de marché, cette décision sera lourde de conséquences financièrement pour l’industriel qui devra supporter la différence entre le montant remboursé pour l’alternative importée et celui qui aurait résulté de la prise en charge du médicament rendu indisponible[28].

Le législateur a également introduit des sanctions financières à l’égard du titulaire d’AMM ou de l’exploitant. Ainsi, est sanctionnable le fait notamment[29] :

  • de ne pas constituer de stocks de sécurité ;
  • de ne pas élaborer de PGP ;
  • de ne pas prévoir des mesures suffisantes dans le PGP pour parer la pénurie ;
  • de ne pas déclarer à l’ANSM de la liste des médicaments pour lesquels il existe un PGP.

L’ANSM a récemment actualisé les lignes directrices relatives à la détermination des sanctions financières en matière de rupture de stocks de médicaments[30]. Le montant de base[31] est porté à 20% du chiffre d’affaires réalisé lors du dernier exercice clos pour le produit concerné, soit au maximum prévu par les textes[32]. En sus, cette sanction financière peut être assortie d’une astreinte journalière pour chaque jour de rupture d’approvisionnement constaté, qui serait de 20 % du chiffre d’affaires journalier moyen réalisé en France par l’entreprise au titre du dernier exercice clos pour le produit considéré, puis de 30 % en cas de récidive[33].

Le dispositif national ayant été introduit il y a plus de dix ans et étant désormais structuré, la Commission des affaires européennes du Sénat s’en est fortement inspirée pour formuler ses propositions de réforme de la législation pharmaceutique européenne à travers un rapport[34]. Cette dernière préconise notamment de ne pas se restreindre à la gestion des situations de crise[35] en reprenant la définition française de la rupture d’approvisionnement, l’obligation de constitution de stocks de sécurité et d’élaboration de PGP afin de les imposer au niveau européen[36]. Aussi, à l’image de TRACStocks[37], la Commission propose de mettre en place une plateforme permettant aux titulaires d’AMM et aux autorités compétentes de gérer les pénuries, qu’elles surviennent pendant ou en dehors d’une période d’urgence sanitaire[38].

S’il ressort du rapport précédemment mentionné que le Sénat souhaite ériger le système français en exemple à suivre pour l’Europe, ce dernier reste néanmoins perfectible. En effet, alors que l’ANSM avait annoncé une baisse du nombre de signalements de ruptures ou risques de rupture d’approvisionnement pour les MITM en 2021, la tendance inverse est attendue pour 2022[39]. En réponse à cette aggravation des tensions, deux actions ont été entreprises : la conférence des présidents du Sénat a acté le 18 janvier dernier la création d’une commission d’enquête sur la pénurie de médicaments[40] et le gouvernement a annoncé le 26 janvier dernier l’institution d’une mission interministérielle, consacrée aux mécanismes de régulation et de financement des produits de santé[41]. Affaire à suivre…

 

[1] Article 47 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
[2] Décret n° 2012-1096 du 28 septembre 2012 relatif à l’approvisionnement en médicaments à usage humain.
[3] Version initiale de l’art. R. 5124-49-1 du CSP (mise à jour).
[4] Version initiale de l’art. R. 5124-48-1 du CSP (mise à jour).
[5] Version initiale de l’art. R. 5124-49-1 du CSP (mise à jour).
[6] Etude du LEEM des tensions ou ruptures de stocks des médicaments et solutions apportées en 2021, Introduction §1.1.
[7] Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
[8] Loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020.
[9] Art. L. 5121-29 alinéa 1 du CSP.
[10] Correspondant au « stockage du nombre d’unités de produit fini d’une spécialité prêtes à être distribuées sur le territoire français, au moins équivalent à la durée de couverture des besoins fixée ci-après, calculée sur la base du volume des ventes en France de la spécialité au cours des douze derniers mois glissants hors situations exceptionnelles » (art. R. 5124-49-4 §I. du CSP).
[11] Art. L. 5121-29 du CSP.
[12] Art. R. 5124-49-4 §II. 1° et 2° du CSP. Il est aussi possible de réduire le stock de sécurité minimal pour les MITM dans quatre cas de figures, à la demande du titulaire de l’AMM ou de l’exploitant et sur décision du directeur général de l’ANSM (Art. R. 5124-49-4 §III. du CSP).
[13] Art. R. 5124-49-4 §IV. du CSP. L’ANSM a ainsi listé en décembre 2021, 422 MITM pour lesquels le stock minimal de sécurité doit être de quatre mois (liste valable pour deux ans et disponible sur le site de l’ANSM).
[14] Art. L. 5111-4 du CSP, notion introduite par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
[15] Arrêté du 27 juillet 2016 fixant la liste des classes thérapeutiques contenant des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur mentionnés à l’article L. 5121-31 du CSP.
[16] Art. L. 5121-31 du CSP, alinéa 1.
[17] Art. L. 5121-31du CSP, alinéa 2.
[18] Arrêté du 26 juillet 2016 fixant la liste des vaccins devant faire l’objet des plans de gestion des pénuries mentionnés à l’article L. 5121-31 du CSP.
[19] Art. L. 5121-31 du CSP, alinéa 3.
[20] Art R. 5124-49-5 §II. et §III. du CSP.
[21] Art R. 5124-49-5 §I. alinéa 3 du CSP.
[22] Art R. 5124-49-5 §I. du CSP et décision du 21/07/2021 de la Directrice générale de l’ANSM fixant les lignes directrices pour l’élaboration des plans de gestion des pénuries en application de l’article R. 5124-49-5 du CSP.
[23] Annexe §5 de la décision du 21/07/2021 de la Directrice générale de l’ANSM fixant les lignes directrices pour l’élaboration des plans de gestion des pénuries en application de l’article R. 5124-49-5 du CSP.
[24] Art. L. 5121-32 alinéa 1 du CSP et art. R. 5124-49-1 §II. du CSP.
[25] Site de l’ANSM, « Comment déclarer une rupture ou un risque de rupture de stock de médicament ? ».
[26] Art. L. 5121-30 du CSP et site de l’ANSM, Disponibilité des produits de santé.
[27] Art. L. 5121-32 alinéas 2 et 3 du CSP.
[28] Art. L. 5121-33 §1. du CSP.
[29] Art. L. 5423-9 du CSP.
[30] Site de l’ANSM, « Ruptures de stock de médicaments : l’ANSM actualise ses lignes directrices relatives aux sanctions financières ».
[31] Point de départ au calcul du montant de la sanction qui sera ajusté d’une part au regard de critères propres au manquement, d’autre part au regard de critères propres à l’entreprise concernée.
[32] Annexe 3 des lignes directrices de l’ANSM relatives à la détermination des sanctions financières.
[33] Art. L. 5471-1 du CSP.
[34] Rapport d’information n° 63 (2022-2023) de Mmes Pascale GRUNY et Laurence HARRIBEY, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 20 octobre 2022.
[35] Rapport d’information n° 63 (2022-2023), §II. A. 1. b), p.30.
[36] Rapport d’information n° 63 (2022-2023), §II. B. 6. p.43.
[37] Plateforme développée par le LEEM, l’association Gemme et le LEMI dans le but d’optimiser l’information sur les ruptures de stocks de médicaments.
[38] Rapport d’information n° 63 (2022-2023), §II. B. 1. p.36.
[39] Plus de 1000 ruptures recensées sur les 9 premiers mois en 2022 (chiffres finaux en attente de communication), contre 900 ruptures sur l’ensemble de l’année 2021 (Antisèches du LEEM sur les pénuries / ruptures d’approvisionnement, « Tous unis contre les pénuries ! », jan. 2023).
[40] Proposition de résolution n°198 tendant à la création d’une commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française, Exposé des motifs.
[41] SNITEM, « Une mission interministérielle pour les produits de santé ».