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Une vulnérabilité croissante des chaînes d’approvisionnement en produits de santé : quelle stratégie pour l’Europe ?

Saga – Rupture d’approvisionnement des produits de santé en Europe
1er volet

Une vulnérabilité croissante des chaînes d’approvisionnement en produits de santé : quelle stratégie pour l’Europe ?

Le nombre de pénuries de médicaments a été multiplié par 20 entre 2000 et 2018[1]. La Commission von der Leyen, formée en novembre 2019[2], s’est saisie de ce problème en choisissant de l’ériger comme l’un des objectifs phares de son mandat. En effet, dans sa lettre de mission du 1er décembre 2019, Ursula von der Leyen demandait à Stella Kyriakides, Commissaire en charge de la santé et de la sécurité alimentaire, de garantir à l’Europe un approvisionnement en médicaments abordables[3]. Cette demande été formulée à nouveau, en 2020, par la Commission européenne de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire dans son rapport sur les pénuries de médicaments. Cette dernière a notamment proposé à la Commission et aux Etats membres, « d’envisager la mise en place de plans de prévention et de gestion des pénuries harmonisés qui imposent aux industriels d’identifier les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur nécessitant l’instauration de mesures préventives et correctives pour éviter ou pallier toute rupture d’approvisionnement »[4]. En raison de la crise sanitaire du Covid-19 survenue cette même année, exacerbant ces difficultés d’approvisionnement et de disponibilité des produits de santé[5], la Commission européenne a été contrainte de réagir rapidement. Le 25 novembre 2020, cette dernière s’est alors donné comme objectif, dans le troisième pilier de sa nouvelle stratégie pharmaceutique pour l’Europe, « de renforcer les mécanismes de préparation et de réaction aux crises, disposer de chaînes d’approvisionnement diversifiées et sûre et remédier aux pénuries de médicaments » [6]. C’est par le biais d’une réforme en deux temps de la législation européenne que la Commission a annoncé y parvenir[7].

En premier lieu, de janvier à novembre 2022, dans le but de construire « une Union européenne de la santé » résiliente face aux crises sanitaires, la Commission européenne a adopté quatre règlements[8] :

  • le Règlement (UE) 2022/2371[9] pour faire face aux menaces transfrontières graves pour la santé et à leurs conséquences,
  • le Règlement (UE) 2022/2372[10] du Conseil introduisant un cadre d’urgence pour les interventions de l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA),
  • le Règlement (UE) 2022/2370[11] étendant les missions du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), et enfin
  • le Règlement (UE) 2022/123[12] renforçant le rôle de l’Agence européenne des médicaments (EMA) dans la préparation et la gestion des pénuries de médicaments et de dispositifs médicaux (DM).

Non seulement l’Europe a élargi la problématique des ruptures de stock aux dispositifs médicaux, mais surtout, dans le cadre de ce dernier règlement, le législateur a pu mettre en place des dispositifs de coopération et de coordination entre les différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement afin d’éviter ou de remédier aux pénuries. A tout le moins, son champ d’application restant limité aux urgences de santé publique ou aux évènements majeurs, aucun système n’existe à ce jour pour faire face aux pénuries récurrentes, survenant en dehors de toute situation de crise[13]. Par ailleurs, dans le cadre du Règlement (UE) 2022/2370, la Commission européenne est venue créer la toute première réserve stratégique « rescUE » en Finlande, dans les domaines chimique, biologique, radiologique et nucléaire. Ce sont 242 millions d’euros qui ont été alloués le 17 janvier dernier à la Finlande pour constituer un « arsenal de contre-mesures médicales à utiliser dans les situations d’urgence sanitaire », comprenant alors « des vaccins et des antidotes, des dispositifs médicaux et du matériel d’intervention sur le terrain »[14].

En second lieu, il est attendu dans le meilleur des cas pour mars 2023[15], un nouveau bloc législatif propre au domaine pharmaceutique[16] qui devrait améliorer la gestion des pénuries hors période de crise[17]. Cette révision concerne la directive 2001/83/CE[18] instituant un code communautaire pour le médicament mais pas seulement. En effet, en période de recrudescence des maladies infectieuses respiratoires touchant surtout les populations infantiles, la cheffe de l’unité des produits médicaux de la DG SANTÉ de la Commission européenne a annoncé le 8 novembre dernier, la révision de la législation sur les médicaments orphelins et ceux à usage pédiatrique[19]. Cette réforme devrait mener, d’après la Commissaire en charge de la santé et de la sécurité alimentaire, à un renforcement des obligations des industriels du médicament vis-à-vis des autorités compétentes, à la mise en place d’un système de notification rapide des retraits et des risques de pénuries et enfin à l’instauration d’une politique de transparence vis-à-vis des stocks de médicaments. Enfin, Stella Kyriakides a rappelé qu’aucune stratégie de constitution de stocks à l’échelle européenne ne sera mise en place, tant que l’Union européenne ne se sera pas dotée d’une véritable capacité de production[20]. Affaire à suivre donc…

 

[1] Rapport de la Commission européenne de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire sur la pénurie de médicaments, Exposé des motifs, alinéa 2, jui. 2020.
[2] Site du Parlement européen, Actualité, Nouvelle Commission européenne.
[3] Mission letter of U. von der Leyen to Stella Kyriakides, déc. 2019, p.4.
[4] Rapport de la Commission européenne de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire sur la pénurie de médicaments, Proposition de résolution du Parlement européen §27., jui. 2020.
[5] Rapport de la Commission européenne de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire sur la pénurie de médicaments, Exposé des motifs, alinéa 4, jui. 2020.
[6] Site de la Commission européenne, Une stratégie pharmaceutique pour l’Europe.
[7] J. Wierzbicki, « Vers une réforme en profondeur de la législation pharmaceutique européenne », Pharmaceutiques, nov. 2020.
[8] L. Idot, « La lente progression vers une Union européenne de la santé ? », Lexis Nexis, jui. 2022.
[9] Règlement (UE) 2022/2371 du Parlement européen et du Conseil du 23 novembre 2022 concernant les menaces transfrontières graves pour la santé et abrogeant la décision n°1082/2013/UE.
[10] Règlement (UE) 2022/2372 du Conseil du 24 octobre 2022 relatif à un cadre de mesures visant à garantir la fourniture des contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise dans l’éventualité d’une urgence de santé publique au niveau de l’Union.
[11] Règlement (UE) 2022/2370 du Parlement européen et du Conseil du 23 novembre 2022 modifiant le règlement (CE) n°851/2004 instituant un Centre européen de prévention et de contrôle des maladies.
[12] Règlement (UE) 2022/123 du parlement européen et du conseil du 25 janvier 2022 relatif à un rôle renforcé de l’Agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux.
[13] Considérant 17 du Règlement (UE) 2022/123.
[14] Site de la Commission européenne, « rescUE: la Commission crée la toute première réserve stratégique dans les domaines chimique, biologique, radiologique et nucléaire en Finlande », jan. 2023.
[15] Propos de S. Kyriakides lors de la séance plénière du 17/01/2023 au Parlement européen, intervention débutant à 14 heures, 27 minutes et 33 secondes.
[16] Appelé le « Paquet pharmaceutique » par la Commission européenne dans l’ordre du jour du 13/01/2023 du Collège des commissaires, p.3.
[17] Propos de S. Kyriakides lors de la séance plénière du 17/01/2023 au Parlement européen, intervention débutant à 13 heures, 29 minutes et 4 secondes.
[18] Directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain.
[19] A. Holmgaard Mersh, « La Commission européenne devrait présenter une proposition de révision de la législation sur les médicaments orphelins », Euractiv, nov. 2022.
[20] Propos de S. Kyriakides lors de la séance plénière du 17/01/2023 au Parlement européen, intervention débutant à 14 heures, 27 minutes et 33 secondes.